SAINT MARCELLIN, PAPE ET MARTYR
295-30
Marcellin, romain d'origine, était fils de Projectus. Il siégea huit ans, onze mois et trois
jours, depuis la veille des kalendes de juillet (30 juin), sous le sixième consulat de Dioclétien
et celui de Constance II (295), jusqu'au neuvième du même Dioclétien et le huitième de
Maximien (304); époque où la persécution fut si grande, qu'en un mois, dix-sept mille
chrétiens de tout âge et de tout sexe furent égorgés dans les diverses provinces.
Marcellin fut traîné à l'autel des faux dieux pour y sacrifier et y offrir de l'encens. Il le
fit; mais quelques jours après, touché de repentir, il parut de nouveau devant Dioclétien,
confessa courageusement la foi et eut la tête tranchée avec Claudius, Cyrinus et Antonin.
Pendant qu'on le conduisait au supplice, le bienheureux Marcellin conjura le prêtre Marcel de
ne pas céder aux instances de l'empereur. Par ordre de Dioclétien, les corps des saints martyrs
demeurèrent trente-six jours sans sépulture, au milieu du forum, pour effrayer les chrétiens
par ce lugubre spectacle. Enfin le 7 des calendes de mai (26 avril 304), le prêtre Marcel vint
pendant la nuit, avec les autres prêtres et les diacres de Rome, recueillir ces précieuses
reliques. Elles furent déposées au chant des hymnes dans la catacombe de Priscille, sur la voie
Salaria, dans le cubiculum que le Pontife, après sa pénitence, avait désigné lui-même pour le
lieu de sa sépulture, à côté de la crypte où reposait le corps de saint Crescent. Marcellin, en
trois ordinations, au mois de décembre, avait imposé les mains à quatre prêtres, deux diacres
et cinq évêques destinés à diverses églises. Après lui, le siège demeura vacant deux mois.
Ajoutons quelques mots à ce court récit de la Chronique des Papes, reproduite par le
Bréviaire romain. L'Eglise n'eut jamais plus à souffrir qu'à cette époque terrible. L'édifice de
l'idolâtrie, ruiné peu à peu par les chrétiens et détruit dans quelques-unes de ses parties, était
prêt à s'écrouler sur ses fondements; les autels profanes manquaient de fleurs, les
hiérophantes, de victimes, les aruspices ne trouvaient plus dans les entrailles les signes de
l'avenir, les oracles étaient devenus muets, les magiciens, impuissants. Dans un tel état de
choses, il semblait que tous les dieux des ténèbres tentaient leurs derniers efforts contre le
Dieu de la lumière. Dioclétien, Maximien, Galérius et Maximin furent successivement les quatre
chefs de cette entreprise infernale. Galérius, le plus furieux de tous, avait arraché à Dioclétien
la fatale sentence qui ordonnait cette persécution atroce, universelle, sans trêve, sans pitié.
Les églises furent abattues dans presque toutes les provinces les hommes, les femmes, les
vieillards, les enfants, les vierges, furent livrés aux bourreaux; le ciel se peupla de martyrs, et
la terre, à la vue d'un tel courage, était embrasée de tendresse pour le christianisme. On
voulait détruire la religion de Jésus Christ, et toute cette fureur ne servait qu'à élever le trône
de la foi sur les débris du paganisme.
Les Etats soumis à Rome, arrosés du sang des persécutés, n'en devinrent que plus
féconds en rameaux chrétiens. Les tourments déchirèrent les corps des martyrs; mais leurs
âmes, embrassant fermement la foi, restèrent invulnérables et invincibles. Il y eut cependant
un grand nombre de fidèles qui se laissèrent gagner par les menaces et les promesses des
païens.
Or, Marcellin était évêque de Rome Urbain, le pontife païen du Capitole, vint le trouver.
La discussion s'engagea entre eux sur la question de savoir si c'était un grand crime
de brûler de l'encens en l'honneur des dieux. «Votre Christ,» dit Urbain, «celui que vous
prétendez le fils de la Vierge Marie, ne reçut-il point à son berceau, l'or, l'encens et la myrrhe
que lui présentaient les mages ?»
Ces mages croyaient honorer ainsi celui dont vous avez fait votre Dieu et dont vous
prêchez la résurrection. Le fait de brûler de l'encens est donc, même d'après votre propre
croyance, un hommage légitime rendu à la divinité. L'évêque Marcellin lui répondit : «Les
mages n'offraient point leur encens à une idole vaine. En le déposant aux pieds de Jésus
Christ, ils manifestaient clairement qu'ils le reconnaissaient pour le Dieu unique et véritable.»
– «Voulez-vous,» reprit Urbain, «venir un de ces jours aux palais de Dioclétien et Maximien,
nos invincibles et très cléments empereurs ? En leur présence, je répondrai à toutes vos
objections sur ce point.» Marcellin y consentit. Au jour fixé, qui était celui de la fête païenne de
Vulcain, le pontife du Capitole dit à l'évêque : «Rédigeons chacun de notre côté nos raisons par
écrit, et nous les remettrons aux empereurs.» Ils le firent, et, quand ils eurent été admis à
l'audience des très sacrés princes, Marcellin, l'évêque de Rome, fidèle à sa mission, et
confessant généreusement le Christ avec intrépidité. «Pourquoi,» disait-il à Dioclétien, «semer
l'univers de deuil et de carnage, à propos du culte superstitieux des idoles ? Pourquoi forcer
tous les hommes, sous peine de mort, à brûler de l'encens devant des statues muettes ?»
Urbain l'interrompit en disant : «Adressez-vous à moi, je suis prêt à vous confondre. N'est-il
pas vrai que, sous ce terme injurieux de vaines idoles, vous comprenez le dieu Jupiter et
l'invincible Hercule eux-mêmes ? N'est-ce pas ainsi que vous blasphémez la majesté de Jupiter,
qui n'est autre que le ciel uni à la terre et aux mers dans son éternelle alliance avec Saturne ?
Vous êtes pontife comme moi, pourquoi donc n'offrez-vous pas, ainsi que moi, de l'encens à la
majesté divine ?» Dioclétien prit la parole : «Ne poussez point cet homme à bout» dit-il à
Urbain. «Rien ne prouve encore qu'il veuille se mettre en rébellion contre ma puissance et
contre la majesté des dieux immortels.» Or, Dioclétien parlait ainsi, parce que Romanus et
Alexandre, deux de ses confidents, lui avaient dit : «Si vous réussissez par la douceur à
gagner l'esprit de Marcellin, toute la population de Rome obéira à vos édits et consentira à
sacrifier aux dieux.» S'adressant donc à l'évêque, Dioclétien lui dit : «Je reconnais ta sagesse
et ta prudence. Tu es peut-être destiné à changer en une amitié fidèle la haine que je portais
jusqu'ici au nom chrétien. Viens, et que le peuple soit témoin de notre réconciliation.»
L'empereur se rendit aussitôt au temple de Vesta et d'Isis il y fit entrer l'évêque, lequel était
accompagné de trois prêtres, Urbain, Castorius, Juvénal et de deux diacres, Caïus et
Innocent : ceux-ci ne voulurent pas franchir le seuil de l'édifice idolâtrique. Ils quittèrent sur-
le-champ l'évêque, et par conséquent ne virent rien de ce qui se passa depuis dans le temple.
Ils coururent au presbytérium, réuni au Vatican, près de l'ancien palais de Néron, et
racontèrent le fait. A cette nouvelle, une foule de chrétiens, entre autres quatre-vingt-quatre
témoins coururent au temple; ils virent Marcellin jeter l'encens sur le trépied et recevoir les
félicitations de l'empereur. Or, ces témoins, après avoir déposé la somme d'argent exigée par
la loi de tout accusateur, affirmèrent avoir vu Marcellin offrir de l'encens.
Un synode se tint à Sinuesse, en Campanie, dans la crypte de Cléopâtre; pénétré de
douleur à la pensée de sa faute, Marcellin s'y présente couvert d'un cilice. Un grand nombre de
témoins furent entendus à chaque déposition affirmative, les évêques les conjuraient de
songer à la portée de leurs paroles et ajoutaient : «Vous entendez, Pontife, jugez maintenant,
car vous ne pouvez être absous ni condamné que par vous-même.» Marcellin siégeait à la tête
des évêques, car il était tenu pour innocent tant qu'il ne se serait pas condamné lui-même. Il
prit donc la parole et dit d'une voix distincte : «Je n'ai point sacrifié aux dieux; j'ai seulement
laissé tomber quelques grains d'encens sur le trépied.» Les évêques, se levant alors, dirent
aux témoins : «Nous n'avons plus besoin de vos attestations après celle qui vient de sortir de
la bouche du Pontife.» Ils souscrivirent donc le procès-verbal de la séance, et l'évêque Quirinus
dit à Marcellin : «Pontife universel, vous avez blessé tous les membres de l'Eglise. Après dix-
huit ans d'un sacerdoce irréprochable vous avez cédé à la malice de Satan.» A la séance du
lendemain, l'évêque Cyriaque dit à Marcellin : «Jugez enfin dans votre propre cause. Nous
attendons votre sentence pontificale.» Le Pape, se prosternant alors le front dans la poussière,
s'écria d'une voix entrecoupée de sanglots: «J'ai péché devant Dieu et devant vous; je ne suis
plus digne du rang sacerdotal; je me suis laissé séduire par les promesses captieuses de
l'empereur !» Le prêtre Helciade dit : «Il est justement condamné par sa propre sentence,
c'est lui-même qui a prononcé l'anathème qui le frappe, car nul n'a le droit de condamner le
Pontife. Le premier siège n'est jugé par personne !» Quand on souscrivit le procès-verbal de
cette séance, Marcellin le premier de tous signa de sa main, souscrivant ainsi sa propre
condamnation.
Comme saint Pierre, en frappant sa poitrine, il avait aussi obtenu de Dieu le pardon
suprême. Revenu à Rome, il alla trouver l'empereur et lui reprocha courageusement de l'avoir
entraîné, malgré lui, à un acte si énorme d'impiété. Pour toute réponse l'empereur le fit
décapiter. La légende dorée ajoute que, pour se punir lui-même, il abdiqua, et qu'il fut réélu
après cet acte de profonde humilité.
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