Le Christ notre sauveur

Pour la préservation de la religion catholique romaine

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    Message par Perlette Mer 9 Mar - 10:24

                          

    Les catholiques, le cinéma et la conquête des masses : le tournant de la fin des années 1920


    L’attitude des catholiques vis-à-vis du cinéma ne semble guère avoir évolué jusqu’à la fin des années 1920. Le chanoine Brohée, de Bruxelles, dans la revue Dossiers du cinéma, la résume ainsi :

        « Jusqu’ici, en cause de cinéma, les catholiques – et vous en trouverez encore hélas ! beaucoup de cette trempe – ont courageusement défendu la thèse de l’abstention.
        Le cinéma est un mal ! Anathème au cinéma !
        Les familles qui se respectent ne vont pas au cinéma, ou du moins ne devraient pas y aller !
        Cette attitude, mon Dieu, on la comprend : le cinéma a fait tant de mal et il en fait encore tellement. À ce point que la thèse de l’abstention, le cinéma étant ce qu’il est actuelle-
        ment, est encore, d’une manière générale, celle qui se justifie le mieux » 

    Ce décalage de l’Église par rapport au monde moderne s’atténue cependant dans les années 1920, dans le contexte de l’évolution de l’Église, sous l’influence de Pie XI, vers une prise en compte des nouveaux phénomènes sociaux. L’apostolat social mis en place par l’épiscopat français, avec la création, de 1927 à 1929, des Jeunesses ouvrière, agricole et étudiante chrétiennes (JOC, JAC et JEC), s’inscrit ainsi dans un changement d’attitude, dans un climat par ailleurs pacifié après la crise qui avait suivi, en 1926, la condamnation de l’Action française par le pape.

    L’attitude du clergé catholique à l’égard du cinéma commence à évoluer au milieu des années 1920, en particulier sous l’influence de Pierre L’Ermite.

    Celui-ci utilise la tribune dont il dispose dans La Croix et l’audience dont il bénéficie au sein de l’épiscopat pour exhorter ses collègues à développer « la propagande conjuguée de la bonne presse et du bon cinéma » 

     Il est entouré de quelques hommes, comme l’abbé Bethléem, organisateur du Congrès des projections, et l’abbé Honoré, qui dirige le « service des projections », c’est-à-dire un service de location et, occasionnellement, de réalisation de films à destination des œuvres et des patronages 

    Ce service s’occupe également d’aider à l’installation de salles de cinéma, mais il semble limité dans ses moyens, et surtout dans les soutiens dont il bénéficie : l’abbé Bethléem exprime ainsi le souhait « que les catholiques secouent leur torpeur en face de l’écran », et se plaint en particulier de ce qu’il n’a « jamais pu obtenir des catholiques [… ] les quelques milliers de francs nécessaires pour lancer une revue critique de tous les nouveaux films »

    La mise en œuvre du bon cinéma semble donc piétiner, malgré les efforts de Pierre L’Ermite, qui a écrit en 1925 son premier film de propagande, et l’a co-réalisé avec Alexandre Ryder. Ce film, intitulé Comment j’ai tué mon enfant, qui peint une mère et une famille détournant un jeune homme de sa vocation religieuse et de l’influence bénéfique d’un abbé, reste pendant plusieurs années une des seules références du cinéma de propagande catholique. Cette propagande est considérée par ses promoteurs comme une véritable mission :
    par l’émotion du récit et des images, il s’agit de faire entrer la foi dans les consciences.

    C’est d’ailleurs de préférence en terre de mission que les films sont projetés. Ainsi, lors de sa reprise en janvier 1926, Comment j’ai tué mon enfant est projeté à Levallois-Perret –

     « cent mille habitants et des centaines d’usines » – à Paris, rue de la Roquette, dans le quartier de la Bastille, dont « le nom évoque les fortes têtes, les clubs, les journées sanglantes de la Révolution », et à Ivry, « la citadelle centrale du communisme, toute voisine du fameux Kremlin où même le port de la soutane fut interdit » 

    P. L’ERMITE, « En pleine pâte », La Croix, [ 10 ?] janvier…
     La diffusion du film dans des villes et des quartiers ouvriers, où la présence communiste est forte, s’inscrit dans la stratégie catholique de reconquête du terrain social. Après avoir cité longuement une lettre du curé d’Ivry relatant la projection de son film devant un public composé de jeunes gens des patronages catholique et communiste, tous gagnés par l’émotion, Pierre L’Ermite conclut ainsi :

        « Si un film sur le rôle magnifique de la vocation sacerdotale force ainsi les bravos des communistes d’Ivry travaillés méthodiquement, depuis des années, par le bolchevisme le plus ardent, n’est-ce pas une démonstration concluante que le cinéma est une arme formidable à ajouter aux autres pour l’apostolat populaire de demain ? Et alors, sur le terrain immédiat et pratique, que chaque dirigeant tire sa conclusion »
     
    Cette pétition de principe apostolique reste sans grande suite jusqu’en 1927, mais durant cette période, le cardinal Dubois, archevêque de Paris, fait ses premiers pas en direction du cinéma. Dès 1926, par exemple, il assiste Gaston Roudès et Marcel Dumont, qui réalisent une adaptation du Dédale, une pièce à thèse de Paul Hervieu contre le divorce 

     : c’est la première incursion sérieuse d’un membre – éminent, qui plus est – de l’épiscopat dans le domaine de la production cinématographique. L’Église veut ainsi investir à la fois les écrans et les studios, de manière à occuper une place dans la diffusion de films, et par ailleurs à contrôler la qualité morale de la production courante.

    De même, en 1927, le cardinal Dubois accepte la présidence d’honneur du Comité pour l’édition du film Le chemin de croix, dont le but est de produire une adaptation cinématographique de l’oratorio homonyme du compositeur Alexandre Georges]Voir le dossier concernant ce projet à la BiFi, fonds Jean…

     La scène évangélique du chemin de croix serait insérée dans un scénario, qui porte aussi le titre Chacun porte sa croix, destiné à la mettre en valeur. Ce projet de
     « film de propagande religieuse » 

    , au « but profondément moral » 
    , est donc parrainé par un comité qui, outre le cardinal Dubois, comprend plusieurs « hautes personnalités », comme le vicomte de Jonage ou un certain M. Debiney, neveu de général 

    Voir le pneumatique d’Alexandre Georges à Epstein, 9 mars 1927,…

     Il reçoit en outre les encouragements officiels des principaux membres de l’épiscopat français, comme l’archevêque de Lyon et les évêques de Meaux, d’Arras, d’Amiens, de Nice, de Grenoble, de Sens et de Montpellier

     Haut clergé, aristocratie, voire armée : les milieux sociaux concernés par la réalisation d’un film de propagande religieuse sont clairement identifiés. On est loin, ici, de l’apostolat social du curé d’Ivry, ou même de Pierre L’Ermite.

    Le comité fait appel, en janvier 1927, à Jean Epstein pour produire et réaliser le film pour lequel il se dit prêt à verser cinq cent mille francs

     Epstein, qui évalue le budget nécessaire à deux millions de francs, se tourne alors vers d’autres commanditaires, comme le distributeur Maurice Rouhier, qui est disposé à participer à hauteur de deux cent cinquante mille francs, plus l’équivalent de cette somme en nature (pellicule, travaux de laboratoire, location de studios) 

     C’est donc une production à gros budget qui est envisagée, de caractère suffisamment exceptionnel pour attirer un petit distributeur – il distribue sept films durant la saison 1926-1927 – dont c’est la première et dernière incursion dans le secteur de la production.

    Le contrat signé en mars 1927 entre Alexandre Georges et Epstein stipule que ce dernier devra accepter, pour l’adaptation et la réalisation, « le contrôle moral des hautes autorités ecclésiastiques qui ont donné leur approbation et leur encouragement à cette réalisation » 
    Contrat entre Alexandre Georges et Epstein, 11 mars 1927, BiFi,…

    Le réalisateur et producteur se place ainsi sous l’autorité du clergé et s’engage à respecter l’esprit de propagande religieuse que ses commanditaires souhaitent donner au film. Le fait est nouveau : pour Le dédale, en effet, le cardinal Dubois s’était cantonné au rôle de conseiller technique auprès des réalisateurs Roudès et Dumont; d’autre part, les films de propagande religieuse jusqu’ici réalisés, comme celui de Pierre L’Ermite, l’avaient été par des religieux. C’est donc la première fois que l’Église commande un film à un producteur et réalisateur – d’avant-garde, qui plus est – s’engageant à travailler sous son autorité, avec les fonds qu’il est chargé de réunir. Epstein doit en outre accepter que le Comité choisisse la scénariste du film, une certaine Reynès Monlaur « ayant un grand désir d’étendre aussi loin [qu’elle peut] le nom et l’action du Christ » 

    Cette formule nouvelle fait long feu : en juillet 1927, Epstein doit abandonner, faute de bailleur de fonds pour le capital qui lui manque 

    On ne peut déterminer si cette carence des financiers est due à la nature du projet ou à la notoriété d’Epstein et surtout à la taille de sa société de production : les Films Jean Epstein sont une firme de petite dimension, d’ailleurs fort endettée et en difficulté financière à ce moment 

    , et le réalisateur, connu pour ses œuvres classées à l’avant-garde, correspond peu à l’image qu’on peut se faire d’un cinéaste au service d’une œuvre pieuse.

    Le projet est finalement repris en 1928 par la société Isis-Film, qui choisit le réalisateur Jean Choux. Le profil de celui-ci est nettement plus en concordance avec les objectifs affichés par les commanditaires. Il est en effet l’auteur de La terre qui meurt ( 1926), film de propagande sociale sur les difficultés du monde paysan et l’exode rural – d’ailleurs produit par Étoile-Film – et du Baiser qui tue ( 1927), film d’hygiène sociale contre la syphilis. Il vient par ailleurs d’achever La guerre sans armes, superproduction nationale à la mémoire des héroïnes de la France occupée durant la Grande Guerre : il ne manque donc à sa panoplie qu’un film religieux. Parmi les interprètes de La guerre sans armes figure d’ailleurs l’abbé Pinte, qui tient à l’écran son propre rôle, celui d’un prêtre résistant à l’occupation allemande dans la région lilloise.

    Chacun porte sa croix ( 1929), film sur les tourments d’un homme éloigné de la religion et qui retrouve son équilibre lors de la première communion de son fils, est donc le produit d’une évolution au cours de laquelle les autorités ecclésiastiques se sont rapprochées du cinéma, sans toutefois systématiser ce rapprochement avant 1927. Mais le cinéma catholique militant, en attendant une organisation nationale, trouve d’abord son expression au niveau local.



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    Message par Perlette Mer 9 Mar - 10:28

                          

    LE CINÉMA APPRIVOISÉ AU NIVEAU LOCAL : L’ACTION DES PATRONAGES




    L’existence d’un réseau de salles de patronage est une condition essentielle de l’action catholique par le cinéma. C’est, en effet, avant tout au niveau local que l’apostolat social trouve son efficacité. Il convient donc d’évaluer la force de ce réseau de salles en 1928 et d’en expliquer le fonctionnement, afin de comprendre les modalités et la portée de l’action catholique par le cinéma.

    Il est difficile, faute de documents émanant des autorités épiscopales, de dresser une liste exacte des cinémas de patronage pour la France de la fin des années 1920. Le chanoine Simonin, lors du Congrès catholique du cinématographe de novembre 1928, cite le chiffre, établi deux ans auparavant, de six cent soixante-treize cinémas catholiques, et il se dit persuadé qu’« à l’heure actuelle, en comprenant les séries spéciales de patronages, de salles paroissiales et de salles publiques, nous atteignons, ou peu s’en faut, le chiffre de mille cinq cents »

    Chanoine SIMONIN, « Nos salles de cinéma », compte rendu du…
    . Cette projection paraît très optimiste, et en l’absence de source fiable, on est contraint de se référer au chiffre de novembre 1926. Sur ces 673 salles, nous avons pu en identifier 184, réparties sur 54 départements de la France métropolitaine 
    Ces calculs sont réalisés à partir de la liste des cinémas du…

    [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
    La carte de l’implantation de ces cinémas (voir p. 123) permet une approche globale de cette répartition sur le territoire national, même s’il ne s’agit là que d’estimations. On constate tout d’abord un très net regroupement des départements dépourvus de cinéma religieux dans les régions méditerranéenne et provençale. La quasi-absence de ce type de salles est également notable dans le Sud-Ouest – en particulier dans les départements pyrénéens –, mais aussi dans les pays de la Loire et dans le Berri. Cela s’explique aisément par la faiblesse de l’implantation catholique dans ces régions largement déchristianisées et de tradition républicaine, notamment en ce qui concerne les deux Midis. Il est plus difficile d’expliquer une telle absence en Alsace, où l’influence catholique est pourtant grande; la source utilisée est peut-être ici lacunaire.

    Il est moins surprenant de retrouver la Bretagne et la Manche en tête des régions les mieux équipées, bien qu’on puisse s’étonner de ne pas y voir figurer la Vendée. La forte tradition catholique de ces régions, encore très vivace, explique l’ardeur militante de son clergé. Dans la Manche, par exemple, les dix salles catholiques représentent près du tiers du total des cinémas du département; en Ille-et-Vilaine, cette proportion monte à 40%. Dans le Finistère, certaines communes comptent pour seul cinéma leur salle catholique, comme la salle Notre ciné de l’abbé Corre à Chateaulin (sous-préfecture, quatre mille habitants), et la salle Chez les jeunes de l’abbé Miossec à Saint-Marc (quatre mille trois cents habitants). Mais cette forte présence catholique n’est pas une hégémonie, notamment dans les villes ouvrières : les cinémas catholiques y côtoient souvent des salles associatives laïques, comme le Patronage laïque de Recouvrance qui concurrence, à Brest (sous-préfecture, soixante-sept mille huit cents habitants), le Cinéma catholique du patronage Saint-Louis.

    On retrouve une forte concentration de salles catholiques dans d’autres régions marquées par une pratique religieuse importante et un clergé socialement bien ancré, comme le département du Nord ou l’ensemble constitué, à l’Est, par la Meurthe-et-Moselle, les Vosges et le territoire de Belfort, auquel on pourrait ajouter l’Alsace, n’étaient-ce, très certainement, les lacunes des sources utilisées. L’ensemble alpin, enfin, semble aussi touché par ce phénomène, mais de manière plus discontinue, puisque seuls les départements de la Haute-Savoie et de l’Isère se distinguent de ce point de vue.

    Au total, le rapide examen de cette carte permet de comprendre que le phénomène des salles catholiques est relativement important à l’échelle nationale, mais que sa répartition spatiale le cantonne aux régions déjà acquises à la cause cléricale. L’esprit de mission, qu’on peut cependant supposer à l’œuvre dans les régions ouvrières du Nord, de la Lorraine ou même des arsenaux bretons, ne pousse pas le clergé jusqu’à étendre sa propagande, en tout cas de manière systématique et structurée, là où son influence est très réduite (dans le Midi pyrénéen et méditerranéen ou en région parisienne, par exemple). La création et la gestion d’une salle catholique doivent donc pouvoir s’appuyer, en général, sur un réseau préexistant de fidèles actifs et probablement sur des infrastructures – presse catholique, patronages susceptibles de céder des terrains ou du matériel… – indispensables au bon fonctionnement de l’entreprise.

    Le chiffre global que nous avons retenu comprend les salles appartenant aux trois catégories définies par le chanoine Simonin – patronages, salles paroissiales et salles publiques – auxquelles nous ajoutons celle des salles privées et associatives.

    Ces catégories correspondent à des réalités sensiblement différentes, que l’exemple de l’Ille-et-Vilaine nous permet de cerner. Parmi les seize salles catholiques identifiées de ce département, on repère en effet onze patronages, mais aussi une salle paroissiale (la salle Saint-Jean de l’abbé Royer, à Cancale), des salles publiques tenues par des religieux (l’Idéal-Cinéma de l’abbé Pirotais à Fougères, le Cinéma de l’abbé Chéenne à Mordelles, et celui de l’abbé Robidou à Saint-Méen-le-Grand) et une salle privée à vocation associative (l’Abri du soldat de l’abbé Lefoul, à Rennes). Les salles de patronage sont des émanations de ces associations religieuses à but éducatif; leurs projections sont donc essentiellement destinées aux enfants et adolescents qui fréquentent ces associations. Les salles paroissiales sont des salles tenues par un curé ou un vicaire, et destinées avant tout au public des fidèles. Elles se distinguent des salles publiques tenues par des religieux en ce que leur programme est composé, comme celui des patronages, de manière à inscrire la projection cinématographique dans l’action apostolique. Les religieux des salles publiques composent des programmes plus larges, contrôlés dans leur moralité, mais destinés au grand public. Enfin, les salles associatives, comme celles des cercles catholiques, ne sont pas nécessairement tenues par des religieux; elles font partie des activités des groupes catholiques de sociabilité, d’entraide et de réflexion, et elles ont donc un statut privé.

    Dans la réalité, cependant, les frontières entre ces catégories se révèlent floues, comme le montre l’expérience de l’abbé Cardaliaguet. Ce curé de Sainte-Marie, petite paroisse rurale du Finistère, est l’auteur d’un guide à l’usage des prêtres qui souhaitent s’inscrire dans l’action d’apostolat social, et dont l’un des chapitres concerne le cinéma [27]
    [27]René CARDALIAGUET, Mon curé vingtième siècle, Paris, Librairie…
    . Adolphe Duparc, évêque de Quimper et de Léon, définit ainsi, dans sa préface à l’ouvrage, les fondements idéologiques de cette action :

        « Même au milieu des populations très chrétiennes, les industries nouvelles du zèle sont nécessaires pour entretenir et développer la vie catholique. Le réseau d’œuvres que vous nous montrez en action donnera au jeune clergé et à ses auxiliaires l’exemple à suivre. Le but, c’est d’arracher le monde actuel, et surtout la jeunesse des deux sexes, à l’atmosphère païenne qui empoisonne aujourd’hui nos campagnes comme nos villes » 
       
    Le cinéma, d’instrument de l’immoralité et de la déchristianisation qu’il était aux yeux du clergé, pourrait donc devenir celui de la reconquête catholique du terrain social. En 1928, le quotidien La Croix lance ainsi une sous-cription auprès de ses lecteurs pour l’équipement cinématographique des paroisses pauvres, qui bénéficient par ailleurs du soutien de l’Union des œuvres, dont la centrale d’achat propose à bon marché des appareils à format réduit de type Pathé-Baby ou Pathé-Rural

    Il faut noter la concomitance de cette révolution des mentalités ecclésiastiques avec celle qui affecte, au même moment, les pouvoirs publics. Il est intéressant, notamment, de constater que le même discours est tenu par les uns à propos du rôle du cinéma dans la lutte contre l’exode rural, et par les autres au sujet du combat pour la rechristianisation. C’est, semble-t-il, le signe que ce moment de la fin des années 1920 est celui d’une profonde transformation de la perception sociale du cinéma. Un progrès est fait en direction de sa reconnaissance en tant qu’objet culturel de pleine dignité, et, simultanément, de grands espoirs sont placés en ce moyen moderne de communication pour apporter des solutions aux problèmes qui préoccupent les différentes parties du corps social.

    À l’instar de l’abbé Cardaliaguet, les plus zélés partisans de cette action catholique par le cinéma n’hésitent pas à utiliser les recettes commerciales les plus courantes pour attirer la clientèle des fidèles. Enseigne lumineuse, aménagement confortable, et, surtout, de la réclame : « Est-ce que le bon Dieu lui-même n’a pas besoin de cloches ?» 

    Ainsi, le curé de Sainte-Marie organise une stratégie de diffusion de ses programmes. Ceux-ci sont envoyés aux deux journaux les plus lus dans la paroisse, l’hebdomadaire catholique du chef-lieu, et le quotidien régional « non catholique mais favorable »; ils paraissent en outre dans la page cinéma du bulletin paroissial. Au journal anticlérical, le curé n’envoie que les programmes des soirées de galas. Par ailleurs, le professeur de dessin de l’école paroissiale, qui préside le Comité du Cinéma Sainte-Marie, compose des affiches « tire-l’œil », qui sont reproduites sous tous les formats, de l’affiche murale aux feuilles de décalcomanie, en passant par les prospectus et les invitations, et apposées sur les murs de tous les carrefours stratégiques du canton. Le succès de cette réclame conduit le Cinéma Sainte-Marie à supplanter ses concurrents laïques du secteur, et même à organiser des tournées cinématographiques dans les environs.

    Pour ce qui est des programmes, l’abbé Cardaliaguet ne cite pas de titre, mais il souligne le faible nombre de films disponibles dans les catalogues spécialisés, comme ceux de la Maison de la bonne presse ou d’Étoile-Film :
    « Désormais, plusieurs maisons catholiques sortent des productions, ou visionnent le bien d’autrui (et le mal) avant de nous les confier. Très bien. Mais quand il faut tourner toutes les semaines ? Les stocks ainsi fournis s’épuisent à la longue, et la dernière ressource est de commander où l’on peut [… ]» 

    C’est ainsi qu’à Moncoutant (Deux-Sèvres), dans les programmes de l’abbé Morin qui anime la salle Jeanne d’Arc, reconvertie en cinéma paroissial en 1928, « les films religieux Saint François d’Assise, Le Martyre de Sainte Maxence voisinent avec les films pour familles Visages d’enfants, Les enfants d’Édouard, Sans famille, Victime… et quelques aventures de Malec qui délassent plus d’un gamin » 

    La première séance de cette nouvelle salle, en octobre 1928, est par ailleurs consacrée à la projection de La terre qui meurt, de Jean Choux. Film religieux, film édifiant, film dramatique moral, et même comique de bon aloi : la programmation des cinémas catholiques est donc éclectique. L’œuvre d’apostolat doit se soumettre aux exigences de divertissement du public qui, une fois fidélisé, est régulièrement abreuvé d’images pieuses. C’est la raison pour laquelle les salles de patronage, les salles paroissiales, les salles catholiques publiques et les salles privées associatives sont très proches : les programmes qu’elles diffusent, comme le public qu’elles attirent, sont très souvent semblables.

    La moralité des films projetés est cependant soumise à un sérieux examen de la part du prêtre en charge de la programmation. L’abbé Cardaliaguet n’hésite pas à « jouer du ciseau avec autorité » pour couper les scènes jugées inconvenantes dans les bandes qu’il loue aux distributeurs commerciaux

     Le rapport au film est donc principalement utilitaire dans ce cas : il s’agit d’adapter les œuvres projetées au but moral et religieux de l’entreprise, quitte à censurer certaines de leurs séquences. Le déroulement des séances se situe d’ailleurs dans le même esprit. À Sainte-Marie, le vicaire de la paroisse se tient debout à côté de l’écran durant toute la projection, et il commente les images par-dessus l’accompagnement musical :

        « Il sait avoir la dent dure… Sûr d’avoir le dernier mot parce que jamais la repartie ne lui a manqué, sûr aussi de la faveur générale du public, il n’hésite pas à réfuter d’un trait énergique ou à railler, froid comme un bistouri, la sottise sacrilège, l’utopie, les caricatures impies de lois, malgré les “rouges” qui écoutent : plutôt à cause des rouges. Le cinéma n’est-il pas l’agora où le prêtre peut les rencontrer ? »

    La projection paroissiale est donc un moment de mobilisation pour l’apostolat social du prêtre. Les images, déjà censurées, sont livrées au public avec un commentaire éducatif; elles jouent le rôle de support pour le discours évangélisateur. Par ailleurs, comme nous l’avons vu pour la séance d’Ivry, le cinéma est un des lieux où le patronage catholique peut se confronter à l’ennemi communiste : là encore, la projection cinématographique est le prétexte d’une lutte d’influence à laquelle se livrent les deux camps pour la conquête des consciences locales. Événement à la fois social et culturel, surtout dans les communes rurales, la séance de cinéma est l’occasion, pour le clergé local, de faire porter son apostolat sur un public élargi, et dans le cadre attrayant d’un divertissement populaire. L’abbé Cardaliaguet résume ainsi l’importance de ce moyen d’action dans le cadre de son apostolat : « Apôtre par vocation, on m’a démontré qu’un cinéma, mauvais ou neutre, peut perdre une paroisse sans délai, tandis qu’un écran catholique aide à garder la foi, la fortifie, et prouve à tous que l’Évangile n’offre pas de tous côtés que pénitence à faire et tourments mérités» 

    L’action des patronages catholiques par le cinéma a donc pour fondement essentiel le caractère distractif du film : la projection doit attirer la population dans le giron de l’Église en lui offrant un divertissement. Il ne s’agit donc pas véritablement d’une action par l’image, bien que celle-ci soit parfois mise à contribution, mais d’une action avec l’image, la parole et le comportement du prêtre restant les références primordiales pour les fidèles.



      La date/heure actuelle est Jeu 16 Mai - 1:07